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À propos des filtres
Project type
Writings and visual essays
Date
2025
À propos des filtres:
À l'Intersection du Ready-Made et des Filtres IA
La controverse des filtres Miyazaki
Le récent déploiement de filtres stylisés façon "Miyazaki" par OpenAI a provoqué des réactions aussi diverses que polarisées dans l'écosystème créatif mondial. D'un côté, l'émerveillement; de l'autre, l'indignation. Entre les deux, un espace d'observation que j'occupe avec curiosité.
Le phénomène des filtres IA nous invite à questionner la notion même de la création, de l'appropriation et de l'authenticité artistique dans notre rapport à la technologie. Comme le souligne Boris Groys dans "Art Power" (2008), chaque nouvelle technologie redéfinit ce que nous considérons comme l'originalité artistique: "L'art contemporain fonctionne comme une machine culturelle qui reçoit tout type d'image et les rejette comme art."
Est-ce que j'admire l'œuvre de Miyazaki? Profondément. Est-ce que je comprends l'inquiétude des créateurs dont l'essence est diluée dans les algorithmes? Absolument. Mais comme observateur de cette révolution numérique, je m'intéresse davantage à ce que ce phénomène révèle de notre humanité que de prendre parti.
Les filtres numériques: miroirs déformants de nos désirs collectifs
Notre fascination pour les filtres, qu'ils soient Instagram, Polaroid ou maintenant générés par l'IA, n'est pas fortuite. Ces transformations instantanées répondent à un besoin profondément humain: celui d'adoucir les contours d'une réalité parfois trop crue, trop directe.
Dans "The Age of the World Picture" (1938), Heidegger anticipait déjà ce phénomène lorsqu'il écrivait que le monde moderne se caractérise par sa transformation en image. Nathan Jurgenson poursuit cette réflexion dans "The Social Photo" (2019) en expliquant que les filtres numériques ne sont pas simplement des outils d'embellissement, mais des médiateurs entre notre perception et notre représentation du monde: "Nous ne prenons pas des photos pour les archiver, mais pour les voir différemment."
Le succès fulgurant des filtres "style Miyazaki" témoigne de notre nostalgie collective pour une certaine pureté visuelle, pour ces mondes où la beauté côtoie l'étrangeté, où la simplicité n'exclut pas la profondeur. Svetlana Boym, dans "The Future of Nostalgia" (2001), identifiait déjà cette "nostalgie réflexive" comme caractéristique de notre époque: un désir non pas de retour littéral, mais d'aspiration à une qualité perdue.
Qui suis-je pour juger ceux qui, ne serait-ce qu'un instant, retrouvent le sourire en se voyant transformés par ces algorithmes? Ces moments de joie, aussi éphémères et artificiels soient-ils, constituent peut-être l'une des rares respirations dans notre quotidien surconnecté.
Le filtre comme ready-made contemporain
C'est ici que la notion de ready-made devient
particulièrement éclairante. Quand Duchamp plaçait un urinoir dans un musée sous le titre "Fontaine", il questionnait radicalement les frontières entre objet utilitaire et œuvre d'art. Le geste, plus que l'objet, devenait l'essence de la création. Thierry de Duve, dans "Kant After Duchamp" (1996), établit que l'acte duchampien n'est pas une simple provocation, mais une redéfinition fondamentale de l'art comme décision conceptuelle plutôt que production matérielle.
Les filtres IA représentent l'évolution logique de cette démarche dans l'ère numérique. En appliquant un algorithme prédéfini à notre image, nous effectuons un geste conceptuel qui transforme notre représentation quotidienne en objet esthétique. L'IA évacue la prouesse technique de réalisation pour privilégier l'immédiateté du résultat, exactement comme Duchamp avait écarté la virtuosité manuelle au profit du concept.
Lev Manovich, dans "AI Aesthetics" (2018), observe que "l'automatisation de la création esthétique par l'IA ne représente pas la fin de l'art, mais sa reconfiguration dans un cadre où la sélection et la contextualisation deviennent les actes créatifs primordiaux." C'est précisément ce que j'explore dans mes essais visuels avec ces objets filtrants superposés.
Mes recherches visuelles explorent cette idée: un filtre à café ordinaire, objet manufacturé et utilitaire, devient sculpture conceptuelle lorsqu'il est présenté comme métaphore du processus de filtrage algorithmique. Ces objets usités placés sur socle, tout comme le buste transformé par couches successives de filtres, interrogent notre rapport à la médiation de la réalité.
Le filtre devient ainsi le nouveau ready-made: un objet préconçu, industrialisé—qu'il soit logiciel ou matériel—dont l'application constitue l'acte créatif. Nicolas Bourriaud, dans "Postproduction" (2002), théorisait déjà cette approche: "L'artiste contemporain ne crée plus à partir de matériaux bruts, mais reprogramme des formes existantes [...] il manipule des données déjà produites."
Entre émerveillement et vigilance
Cette réflexion n'est ni une célébration naïve de la démocratisation créative promise par l'IA, ni une lamentation sur la perte d'authenticité. Elle se veut plutôt une invitation à habiter cet espace intermédiaire, cette zone frontalière où se négocient les tensions entre technologie et humanité.
Benjamin Bratton, dans "The Stack" (2016), nous rappelle que les technologies de filtrage algorithmique ne sont pas neutres mais incorporent des visions du monde et des systèmes de valeurs. Ces technologies, selon lui, "ne présentent pas simplement le monde; elles le constituent activement selon certains paramètres."
Dans ma pratique professionnelle comme dans ma recherche artistique, j'explore ces territoires incertains où l'IA redéfinit nos processus créatifs. Je m'intéresse particulièrement à la façon dont ces outils peuvent augmenter notre créativité plutôt que la remplacer, comment ils peuvent stimuler notre réflexion critique plutôt que l'anesthésier.
James Bridle, dans "New Dark Age" (2018), nous avertit que "comprendre les systèmes qui nous entourent est devenu une forme de survie cognitive." Face à des technologies qui transforment imperceptiblement notre perception, développer une conscience critique de ces médiations devient essentiel.
Car au fond, qu'est-ce qu'un filtre sinon une façon de voir le monde à travers un certain prisme? Et n'est-ce pas précisément ce que l'art a toujours cherché à faire?









